vendredi 25 juillet 2008

Les plaisirs du partage

n de mes grands bonheurs dans la vie est celui qui m'est aisément offert par l'action plaisante de partager des moments agréables, des lectures enrichissantes ou des occupations captivantes.

En effet, il est bien avéré que la contemplation solitaire, ou la simple impression unique que nos sens soumettent à notre raison, apportent de moindres plaisirs que la confrontation avec celles d’autres personnes, qui permet aussi bien un évident enrichissement de la pensée de chacun que le simple contentement d’en confirmer la réalité.

La réunion et la comparaison des choses observées et ressenties par plusieurs sont une source permanente de satisfactions, à la simple condition qu’elles soient pratiquées entre gens dont la perception du monde et les réflexions qu’ils en tirent ne soient pas trop diverses : si bien sûr un aveugle et un voyant ne pourront partager les mêmes plaisirs dans une même situation, en revanche des gourmets ressentiront des émotions corporelles et mentales comparables durant un bon repas.

Toutefois, des profits certains existeront aussi bien entre personnes de sensibilités physiques et de pensées fort différentes si elles possèdent un esprit suffisamment imaginatif et ouvert à l’acceptation de la diversité des observations et des raisonnements conséquents. Ainsi la mise en commun et la discussion de sensations très variées et d’avis très éloignés pourront-elle être passionnantes et apporter beaucoup à chacun en plaisir et raison dans un cercle de gens ayant véritablement le désir et la faculté de mettre à l’écart leur égoïsme et leurs tendances à rejeter les impressions et opinions dont ils sont éloignés.


Les sujets du partage


Le plus souvent, dans le souci constant de ne pas indisposer mes proches et mes contemporains, je préfère partager, en toute fraternité et générosité désintéressée, avec moi-même. Il est étonnant de voir combien la simple mise en commun avec soi de sentiments et sensations agréables est une source inépuisable de satisfactions personnelles, qui multiplient les plaisirs les plus simples par la seule joie de ne plus être seul à les éprouver et par la sensation permanente que le partage apporte une sorte d’heureuse pluralité et de bénéfique communion dans les moments agréables de la vie.

Le lecteur s’interrogera sur le choix ainsi effectué. Il ne résulte pas d’une simplification hâtive ou d’une commodité pratique, mais d’une sérieuse réflexion sur la question.

En effet, ma décision se fonde en premier lieu sur la possibilité peu réaliste de véritablement partager avec une personne les productions de mes sens et de ma pensée. Le génie humain s’est assez penché sur l’incommunicabilité entre les êtres pour ne pas que nous y revenions longuement ; nous savons tous combien il se révèle difficile de simplement faire comprendre des notions et des pensées qui nous semblent pourtant aller de soi : a fortiori des émotions personnelles et des sentiments élaborés.

Ensuite, il semble bien fondé de penser que l’égoïsme naturel des humains et leur propension à tenir l’autre à une certaine distance ne jouent pas en faveur d’un rapprochement avec des personnes, même familières, dont les dispositions d’esprit peuvent, à un moment donné ou de manière constante, se trouver très éloignées des miennes sans véritablement une volonté de les en rapprocher. L’exercice du partage ne peut qu’avec grande difficulté se maintenir de façon prolongée, sans que la personnalité de chacun puisse être raisonnablement mise en cause ; il serait vain de songer sérieusement à une longue continuité, fût-elle incomplète, de sa pratique avec la même ou les mêmes personnes.

Du reste, il est à craindre qu’une relation persistante à l’excès ne mène à une emprise de l’un sur l’autre, qui aboutirait à une sorte de domination mettant fin à l’égalité nécessaire qui seule permet une véritable mise en commun.

Je m’en tiens donc à ma position largement éprouvée par le temps de partager, en toute simplicité et sincérité, avec ma propre personne.


Le partage et la vie quotidienne


Ainsi, dès que l'occasion s'en présente, je m'empresse, dans une réaction que la pratique rend habituelle, de partager les choses les plus plaisantes que j'éprouve avec la personne qui se trouve être celle que je connais le mieux et dont je peux le plus aisément mesurer aussi bien le plaisir que la reconnaissance.

De même, en présence d'un paysage qui me transporte de beauté, me saisit d'admiration ou m'adoucit de sérénité, n'hésité-je pas, dans un élan très naturel de complicité sincère autant que réciproque, à me convier à vivre ensemble ces bons moments: ils en sont décuplés, et je ne cesse de me féliciter des bénéfices délicieux de cette opportune mise en commun.

Il est aussi fréquent que, ressentant de plaisants mouvements du cœur à la vue d'une personne judicieusement dotée des caractères apparents du sexe opposé, je tienne à m'inviter sans arrière-pensée à partager ces considérations esthétiques aussi bien que rationnelles, à la plus grande satisfaction des deux parties dans la contemplation du sujet et l'imagination conséquente, qui est à la vision ce que le toucher est à l'idée.

Il est à remarquer que les heureux effets de cette pratique trouvent leur origine avant tout dans la perspective puis la certitude que l'autre profite au moins autant que moi des choses plaisantes que je ressens, qui se trouvent ainsi renforcées et prolongées. De la même manière, nous profite à l’un et à l’autre, donc doublement à moi-même, le sentiment constant que cette personne à la fois tierce et unique ait son plaisir multiplié par la connaissance du mien: cette agréable réciprocité dans le don et le contentement ne peut se concevoir d’aussi forte manière entre étrangers.

Instruit par mon propre exemple et la longue expérience de ces pratiques, je n’hésite donc pas à conseiller au lecteur avec la plus grande sincérité de m’imiter dans cet exercice salutaire ; le bénéfice qu’il en tirera le récompensera largement de la peine qu’il y consacrera : en toute franchise et liberté, partagez avec vous-même.





vendredi 18 juillet 2008

Sarkozy, ostentation et vulgarité


’argent insolent, la richesse provocante, le luxe plus braillard que tapageur, la fortune qui s’exhibe avec l’ostentation la plus sordide pour augmenter le plaisir égoïste du privilégié en y ajoutant la conscience ignoblement délicieuse de l’envie des autres: voilà le comportement du président de la République, de ses proches, de ses pontifiants valets et de ses caniches sautillants.

Ainsi des mondanités avec les grands dirigeants de l’économie (souvent surtout fils de leurs pères) où le champagne coule à aussi gros flots que l’argent jeté par les fenêtres.
Ainsi de cette croisière sur un yacht de milliardaire offerte par un chef d’entreprise dont les impôts seront diminués de millions d’euros dans les mois suivants, comprenant le vol en jet privé réglé par le même.
Ainsi des montres de parvenu (à la vulgarité), dont tout le prestige tient à ce que jamais un citoyen normal ne pourra les arborer, que son propriétaire montre à ses convives avec une complaisance cynique et leur fait palper, comme un enfant se vante de ses derniers jouets.
Et, accompagnant tout cela, la conviction permanente, la conscience continue que tout cela est bien mérité, ne peut être qu’admiré et que personne ne doit ni ne peut s’opposer à ce triomphe des honneurs étalés, des veuleries courtisanes et des richesses voyantes : le simple refus d’un salut entraîne immédiatement le dédain et le mépris exprimés dans le fameux « casse-toi, pauvre con ».
Car la vulgarité à la Berlusconi et l’inculture triomphante à la Reagan ou à la Bush président à tous ces comportements de singe vantard : finis les hommes d’Etat cultivés, fins lettrés ou amateurs d’art. L’ignorance s’affiche, le mauvais goût se montre fièrement et l’esprit médiocrement people tient lieu de culture générale. Barbelivien le satisfait poète autoproclamé devrait faire oublier Brassens, et Bigard, le mystique urinofécal, a remplacé Malraux.


dimanche 13 juillet 2008

Gilet, triangle et ronds-de-cuir

e voilà-t-il pas que des éminences, sans doute plus chenues que grises, viennent, dans un bel élan de compassion altruiste pour les « usagers » de la route, de nous ciseler finement un petit bijou de réglementation sur les conditions d’arrêt d’urgence des automobiles.

Afin d’entériner cette merveille, un Comité interministériel de la sécurité routière (CISR), comprenant modestement le Premier Ministre et pas moins de six ministres plus ou moins concernés et attentifs, s’est réuni le 13 février 2008. Après avoir évoqué pieusement l’objectif fixé par le Président de la République « de passer sous la barre des 3 000 personnes tuées sur les routes d’ici à 2012 » et les orientations prioritaires qu’Il a définies à cet effet, le Comité a bellement décidé de rendre obligatoire la présence dans les véhicules d’un gilet « rétro-réfléchissant » et d’un triangle « de pré-signalisation ».
Par bonté d’âme et économie d’indignation, n’insistons pas sur le somptueux pléonasme technocratique de « rétro-réfléchissant » ni sur la redondance rond-de-cuirienne de « pré-signalisation » ; le lecteur philologue en goûtera aisément toute la saveur et la longueur en bouche.

Voici les explications que fournit l’administration sur http://www.service-public.fr/actualites/00905.html.
« Le gilet de sécurité rétro-réfléchissant sera porté par le conducteur avant de sortir de son véhicule immobilisé sur la chaussée ou ses abords (on ignore en quoi ils consistent, NDLA) à la suite d’un arrêt d’urgence. Le marquage "CE" devra être apposé sur le gilet. Dès qu’il sortira du véhicule, le conducteur placera sur la chaussée, à une distance de 30 mètres au moins de lui-même (admirons ensemble l’oiseuse et ambiguë rédaction du texte, NDLA) ou de l’obstacle à signaler, le triangle de pré-signalisation. La conformité de ce triangle sera attesté (sic) par le marquage "E 27 R" apposé sur le triangle. Ce gilet et ce triangle sont disponibles dans les rayons accessoires automobiles des supermarchés, chez les équipementiers automobiles, dans les stations-service... »

Imaginons un instant : vous tombez en panne subite sur une autoroute ; faute d’assistance de direction, votre voiture s’immobilise au beau milieu de la chaussée ou peu s’en faut, et est rasée de près à 130 km/h par des hordes de bolides aux klaxons hurlants. Gestes à accomplir de toute urgence : enfiler votre gilet rétroetc ., sortir gracieusement de votre abri précaire, en ouvrir le coffre, prendre le triangle de préetc. et, en esquissant une petite danse de joie, aller promptement le placer à plus de trente mètres (non, pas 29, 30). Voilà qui devrait sans nul doute combler d’aise vos héritiers si vous avez à peu près remboursé tous vos crédits.

Et dans ces judicieuses mesures, s’il n’y a pas de carotte, sauf de colossales pour les fabricants, qui se frottent des mains manucurées devant ce marché pharaonique, le bâton est prêt.
« L’entrée en vigueur des sanctions contre les automobilistes dont le véhicule ne sera pas équipé d’un gilet rétro-réfléchissant de sécurité et d’un triangle de pré-signalisation ne s’appliquera qu’à compter du 1er octobre 2008. À cette date, le non-respect de ces nouvelles obligations sera passible d’une contravention de 4ème classe (amende forfaitaire de 135 euros, minorée de 90 euros). »

Résumons-nous : du jour au lendemain, des équipements de sécurité, jusqu’à présent à peu près inconnus et inutilisés, doivent être présents dans tous les véhicules. Bien mieux, le gilet devra être conservé dans l’habitacle et non dans le coffre, puisqu’il « sera porté par le conducteur avant de sortir de son véhicule » ; une chaîne d’arpenteur sera par ailleurs d’une précieuse utilité pour éviter de placer le triangle à moins de 30m. Si un citoyen aussi inconscient qu’incivique ne détient pas ces objets, il devra sortir de sa honteuse poche 135 euros, soit, rappelons-le pour les étourdis, 885 de nos bons vieux francs.
Neuf cents balles - 13% du SMIC net, 30% du RMI - pour deux bouts de plastique d’une laideur avérée, qui ne seront peut-être jamais d’aucune utilité, sinon après de nombreuses années qui les auront probablement mis dans un triste état.
Il devient donc une infraction grave, presque un délit, de ne pas détenir des équipements susceptibles d’améliorer la sécurité d’un conducteur lors d’événements qui ne se produiront peut-être jamais : curieuse conception du Droit et de la liberté des citoyens.

Par un douloureux effort pour éviter toute démagogie, on ne développera aucune allusion aux multiples points noirs qui agrémentent notre beau réseau routier, ni à la signalisation parfois aussi pléthorique qu’aberrante, ni à l’impunité dont jouissent les chauffards faute de répression puisque de surveillance « in situ ». Non. Chacun les connaît assez, sauf sans doute quelques centaines de hauts fonctionnaires de l’Intérieur douillet et du Ménagement du Territoire, et d’éminents policiers et officiers supérieurs de gendarmerie.

Bien mieux, il est actuellement à peu près impossible de trouver ces équipements dans le commerce, la plupart des magasins étant en permanente rupture de stock : il est bien entendu matériellement exclu, sauf pour quelques ministres éthérés, de fournir en quelque mois plus de trente millions de ces accessoires, malgré le dévouement spontané de nos amis Chinois, qui n’hésitent pas à travailler jour et nuit avec autant d’altruisme que de coercition pour nous fabriquer tout cela en se gaussant de la pollution toxique et des salaires de misère.

Et lorsque, comme l’auteur de ces lignes, vous détenez déjà ces babioles obligatoires polymérisées, votre satisfaction citoyenne et votre soulagement financier sont loin d’être assurés : le gilet porte bien le CE réglementaire (quoique sur une étiquette : est-ce bien « apposé sur le gilet » ?), mais le triangle arbore vicieusement un sibyllin « CE13 27R 030019 » où la chatte gendarmienne ne retrouvera peut-être pas ses petits « E 27 R » formellement exigés par notre génial aréopage.

Que conclure de cette mascarade administrativoministérielle ? Bien des choses peu amènes évidemment, mais peut-être avant tout que certains de nos dirigeants, qui ne circulent bien souvent qu’au mépris du Code de la Route, creusent la tombe de l’Etat avec les stylos qui signent ce genre de calembredaine, et que tout cela renforce le sentiment, déjà assez naturel chez nous autres irréductibles Gaulois, d’un gâchis savamment organisé par les puissants afin de dégoûter de l’Etat l’honnête citoyen, même s’il a voté comme il fallait qu’il votât.